Voilà qui devrait éclairer ce qui semble vous avoir perturbée lorsque j’ai écrit « guenon, je singe ». C’est bien pourtant ce que je n’ai cessé de faire. Mimer, prélever, démonter, remonter. Dans un corps de guenon, s’aligner sur du singe. Nous y voilà. Inutile d’avoir fait beaucoup d’études littéraires pour s’apercevoir que la poésie française est l’une des plus misogynes qui soient. La langue n’est pas sexuée. Ces dames sont priées de ne pas mettre leur utérus sur la table. Ça je l’ai très vite compris. 
« Collective poésie où l’aventure de ma vie consiste à ne pas être un intrus » déclare l’impeccable Dominique Fourcade dans un livre dont je vous recommande la lecture. Sauf qu’il se trouve y avoir une considérable différence musicalo-juridique entre intrus et intrusE. Un baiser de 8 secondes dégage 80 millions de bactéries. Et derrière tout collectif souvent sommeille un chef. Rarement une cheftaine. Assis, debout ou couché, masculin, féminin ou neutre, aucun corps n’échappe à la surveillance ni à l’histoire qui le précède. Il se trouve que vous comme moi appartenons à une catégorie : poétesse. Pas loin de poétasse.
Il y a ce que le printemps fait aux cerises, l’été aux abricots, l’automne aux champignons. La police des corps, elle, n’a pas de saison. Confrontée à une collective blanchitude, sous la houlette dominante d’un hétéro-centrisme, combien de corps manquants sur le bidet poétique ? 
« Quand le poème est écrit, le poète est mort ». C’est clair. Et la poétesse ? Celle qui est traversée par l’avortement intellectuel de siècles entiers de femmes artistes et par l’infanticide de centaines d’oeuvres de poétesses, avec quoi écrit-elle ? Quel corps fantôme ? Ça lui fait mal où ? Comment échapper à cette non-mémoire, à ce nettoyage par le vide ?

extrait de Lettres aux jeunes poétesses
L'Arche, 2021,  p. 49