Chroniques des amoureuls (3)


Une note d’intention de l’autrice précède la première partie des Chroniques des amoureuls. Elle est en ligne ici.




Roudoudous

        Le tas de patelles résiduelles est ré-apposé sur les estrans rocheux après que les Orcantes-Platypus se soient servils des coquilles comme réceptacles aux surplus de lactation. Leurs parois intérieures, concaves, sont maculées de leurs laits cristallisés, pourpre croûte notablement sucrée. La petite masse collante se grippe alors simplement à toute caillasse, ainsi les patelles confisées retournent épouser les roches comme de leur vivant. 
        Les Orcantes-Platypus, bien qu’humanoïdes, partagent leur mode reproductif avec les ornithorynques. Olls sont des monotrèmes : des mammifères qui pondent des œufs.  Olls sont aussi hermaphrodites, autant que genderfluid, et olls apprécient d’orner leurs mamelles de coques de patelles lors des rares naissances. 
        Justement, deux œufs jumeléls vont bientôt rouler au dehors de leur géniteul, évènement ô combien attendu et avec soin anticipé. Olls ont démarré la période de lactation commune en avance, même si les petils ne verront le jour que bien après, quand olls briseront de leurs diamants le dur des coquilles d’œufs. 
        En attendant, touls les Orcantes en âge de le faire ingèrent de quoi générer les montées de lait, à savoir une dulse frisée cultivée aux hormones. Leurs tétins se gorgent alors du liquide nutritif.Ça déborde de partout en filets goûtus dilués aux courants. 
        Ces périodes de lactation sucrent en se diffusant leur milieu aquatique, plongeant toute la population dans un drôle d’état : olls virent complètement euphoriques. Ces moments, occasionnant des transes collectives un peu longuettes et autres accidents d’insouciance, sont devenus trop difficiles à gérer. C’est pourquoi olls se parent désormais touls de ces petits chapeaux de patelles qui contiennent les trop-pleins. Et il faut bien l’avouer, c’est fichtrement élégant, pardeul !
        D’ores et déjà alors, les récifs alentours se couvrent de ces roudoudous euphorisants, formant des frises bosselées à chaque coin d’dur. Mauvaise saison pour les patelles (Plat de résistance, pas d’résistance) !
        Il se peut que l’une d’entre elles se désolidarise – CLOP – de son caillou. Elle est alors emportée au gré des courants, vers surfaces ou vers abysses – pile ou face ! Là commence son périple post-mortem, petite patelle fourrée au lait d’Orcante durci, s’en allant seule on ne sait où. 
        Disons sur une plage bretonne. Là des étals verdâtres recouvrent le sable à marée basse, colorant la patelle par frottements répétés.  La couche verte vue de plus près se trouve être une colonie de vers minuscules (Roscoffensis) . Ces derniers profitent de la photosynthèse des algues auxquelles ils se sont hybridés pour survivre. Cette symbiose animale/végétale est exemplaire du maillage écologique de la région. 
        Revenons à nos patelles. 
        Il arrive qu’elles soient ramassées par untel ou unetelle qui les léchera tout son soûl à s’en glossir les dents. La langue enflée du jus des créatures qu’iel ignore, iel reposera juste le chapeau de patelle sur la plage ou bien au-dessus de sa cheminée. 
        Ce n’est pas là la fin du voyage. L’humain·e content·e tardera bien à se rendre compte des aboutissants d’une telle dégustation. 
        Le sucre absorbé éveillera en son estomac les levures en grappe : candida albicans friands d’sucrettes. La candidose s’épanouit dans la dévoration des roudoudous et la cohorte de champignons qui prolifèrent passe la barrière hématoencéphalique. Gourmand·e læ voilà habité·e d’affamées levures et, cela va sans dire, accroc à la patelle ! 
        La collecte ci-jointe vous propose de cocheminer si la flore vous en dit : luettes flambantes & caramélisées, nuée candide dans l’colmateur.




Us des bernacles

        Si vous preniez les bernacles pour de vulgaires mollusques alors qu’olls sont des crustacés, c’est qu’olls le voulaient bien. 
        Autant les sessiles que les pédonculéls, touls semblables à des mollusques à coques dures, sont plus proches de crabes sédentariséls que de chitons !
        Ainsi les pouce-pieds scalpelliformes, coquillages à cinq valves ex-pédonculéls, choisissent librement de ne plus bouger par eulles-mêmes ! Loin du tumulte décisionnaire que la toute-puissance octroie, les bernacles immobiles élisent domicile sur les baleines, bateaux & carapaces de tortues de mer. Olls font vœu de transport passif ; olls accolent leur mou fragile à un tiers puis sécrètent une bonne fois pour toute leur manteau de calcite, enveloppe extérieure qui a tout d’une armure armour (Préférons à « armure » le terme anglais « armour » pour son équivoque évidente.) 
        Lo bernacle ainsi grippél n’aura plus ni à subir l’affront de prédatorices gobeureuses ni d’une eau polluée. Olls par aspiration n’invitent en leur logis que le nécessaire, tout en filtrant le trop-plein d’indésirable via lesdites armours polyplacophores. 
        J’entends déjà vos objections trop communes : sus aux parasites !
        La dépendance extrême est certes sine qua non de leur choix de vie. Je vous réplique : dolce vita & ancrage à l’incontrôlable sont largement sous-estimés. Se laisser porter, littéralement, en colonisant inoffensils les plus agitéls du ciboulot ne vous semble pas enviable ? Passons.
        Je puis assurer ici que les bernacles ne se meurent pas d’ennui sous leurs armours, bien au contraire, et qu’olls vouent leurs existences à une riche et subtile sensualité. D’ailleurs, olls pourraient largement se contenter de s’autoféconder, au lieu de quoi olls cultivent les relations inter-bernacles, en plus d’inter-espèces. Olls font communauté sur des estrans rocheux ou sur une même carapace ; olls peuvent ainsi armourer toute une tortue !
        Olls ont plaisir à perpétuellement se satisfaire de la trame solide qui les porte, tantôt striée, griffée, bosselée, lisse, sculptée ou encore fartée et que leurs appendices poreux explorent du dedans. De leurs valves, olls suçotent les agrégats, ondulent sur les crevasses et circludent autour des renflements. Les gibbosités de leurs hôtes font leur jouissance : olls de leurs pattes plumeuses exsudent et exultent en ce micro-terrain familier. Langoureuls, olls se massent des nœuds de coquilles ou roches, inlassable humping tout gorgéls de semence à éructer. La finesse de leurs baisers laisse à penser qu’olls perçoivent des multitudes toujours renouvelées en épousant à vie leur petite parcelle de dur.
        Olls nous précèdent et pas de peu. Fidèles à eulles-mêmes, olls naviguent sereinls depuis des millions d’années. Les effondrements drastiques n’affectent tout au plus que leurs hôtes. Olls en sont peinéls, pour sûr, mais olls survivent paisibles, feignant l’inertie alors qu’olls voient du pays.


Roudoudous, Mamma Rassise n°4, 2022
Us des bernacles, REVU n°9, 2021 et Mamma Rassise n°4, 2022