Chroniques des amoureuls (2)


Une note d’intention de l’autrice précède la première partie des Chroniques des amoureuls. Elle est en ligne ici.




Chroniques des amoureuls



Oll a le plat du bec couronné de curves lignages qui disent son âge sa durée. Oll s’engage dans le courant ascendant vers ses concubinls, le groupe décidé pour le partage des chairs. Son cabochon de mésoglée s’entortille à chaque poussée avant-arrière, avancée palmée d’un point A à B : arbriss-eau vers borderline. De part et d’autre, ses six houppes branchiales frétillent d’excitation. Jappement gauche, trébuchement guéridon par-ci, repartir en tournesolage : c’est-à-dire vers l’astre. 
Olls colonisent les fonds coralliens en se fondant des mêmes manteaux. Olls roséls, laiteuls ou pourpréls. La sourdine aqueuse les obligent à se signer. L’atrium est bondé. 
Arrivél à destination, lo plus viell géniteul l’attend avec un sourire clignotant. Oll l’embrasse des deux arcs trace dans l’air sa signature et celles données aux poupons dans ses poches : 3 doigts levés ouverture de la palme torsion de poignet - Ovoïde tracé de l’auriculaire claquement sec de la langue sur le palais répété 2 fois - Souffle rond en même temps que 4 brefs croisements pouce-index. Oll lui répond : succion bruyante tremblements latéraux de la paume. 
La réunion de management va commencer. 
Seuil 1 
« - Scriptons les rapts, hop hop hop aux rotors ! À dérouiller, ces crabmites ! Qu’olls soient lessivéls sans dos d’cuiller. Pardeul, pas d’quartz ni cuisse ne leur seront accordés. De commune parcimonie, nous licoriserons ces fourbuls, faux-frianls et, par d’ssus l’tanné, faire-fervenls ! Que ceulles en lice déclinent leurs signatures ou leurs concubinls les diront malgré. Pas d’quartz, pas d’cuiller ! La corne sera de clémence si lesdils fourbuls nagent à elle sans plus tarder. Qu’olls soient ultimes bravereuls -avant la coupe la guillote ; qu’olls cessent s’terrer nervolages et la lime s’ra nette. »
L’unl d’entre eulles n’y tenant plus se signe pleurvoyanl sous la huée des cabochons assourdis. Touls jettent leurs pouces verssol : « lo raptor aux rotors ! »
  Dans la mêlée, oll se laisse agglutiner. Que faire contre le frou-frou des vagues quand la meute est acharnée ? 
Enchantél au plus haut point, la masse enlise le corps mouliné, l’amollit en palpations à l’en cheniller l’abdomen. 
Seuil 2 
« - Caramasouilles ! Décloppez-lui la fèce et la bobinette cherra ! Décapitonnage de la poupouille ! Tonnerre ! Tourmillon ! Faites chanter les thérémines, pardeul ! Para-tonitruance, qu’est-ce qu’oll dit ? Silence ! » 
Silence. 
L’intéressél réponds de go : 
« - Cheminement des glorieuls, absolution par la tempête, vous ici : appliquez le mortier ! »
Si touls sont d’accord, ça repart de plus belle. Lo raptor devient idole sous les rayons de l’astre de jour. Ça bulle des quatre coins de l’atrium. On lui cheville les sillons costaux. Ça donne : holothurie-ananas = concombre de mer 
Les sagouinls corrigent le tir à grand coup d’pelloche. Intell lui jette l’opprobre par main contingente, unl autre sacrifie sa molestie pour lui admonester une bonne paloche. 
Seuil 3 
« - Ô coronaire ! Lunaire partouls ! Pardeul, Qu’oll soit louél : lo raptor est emboudinnél. Polpouillons sa perclure maintenant qu’ol est cuil ! Blast armorigène, à fond sur la barbotine de dulse ! 
Touls s’emparent d’un peu de barbotine alguée dont l’usage est réservé aux purges et aux réveils. Olls lo massent et lo bisent, mesmerisent ses houppes avec ferveur. 



II 

Oll en zigzags fend la lagune tout à faite. L’usuel groupe de concubinls : unl par unl olls se signent en faisant des remous. Les salutations aboutissent à un festoiement de bon aloi, touls joyeuls de co-arrimer leurs élans. 
Olls sont hui ensemble pour pratique le vénéré chant de l’évolution. Olls emplissent leurs poumons d’eau puis à gorges déployées dévalent leurs vibratos graillards en un canon polyphonique : 


des consortiums de symbiontes 
ça pullule en mitochondrie 
touls des bâtarls 
d’jà gorgéls d’noeuds 
tissage cellulaire 
amour des mycorhizes 
touls des holobiontes 
menéls par le bout du net 


Olls portent en bandoulière tout un tas de calebasses creusées dans diverses courges de mer. Certaines sont de simples gourdes, d’autres des instruments à vent. Olls y soufflent des mélodies sommaires ou imitent des chants de baleine. Olls y braillent à s’en décoller les bronches, olls hululent, olls cuicuitent.

 
NB : Olls sont de bons conteuls, rigoureuls du savoir-dire. Olls ponctuent leurs histoires de chansonnettes, de ballades ou d’opéras, de cris, de grognements ou de rires. Oll existe plus d’une dizaine de mots pour qualifier un rire et sa raison d’être, « nervolage » et « cathartoc » en font partie. Idem pour le spectre qui va de l’estime à l’adoration, on citera : l’« adormittence » et l’« alcopinage ». Olls peaufinent leur langage à mesure qu’olls croissent, c’est une affaire de précision poïétique. Chex eulles, on considère que pour mûrir, il faut faire preuve d’imagination dans la description de ses affects. Reprendre les taxonomies des autres est une attitude puérile. Le son du mot choisi, ses roulis dans la bouche, permettent le plus souvent d’en avoir une idée assez claire dès la première diction. 


Ça vrombit désormais en un chœur cristallo-guttural qui a peu à envier à celui des baleines. 


carotide-branche des alcôves boisées 
ver gris strike a pose pour aller avant 


collecter les ouïes -touche du bois 
le port du treillis te va comme à un phasme 


allure de métamorphe 
j’entrerai les mains palmées 


in the swamp 
dans le mood 


engluéls pretty low in the blurry marshlands 



baril de marde 


marre 
mare 
mar 


III 
Les salières s’étendent montées en terrasse sur des hectares. À perte de vue des cristaux s’amoncellent en champs cultivés. Le Sel est lo Granl Messagel de lo Deul. Le Sel est partout dissolu et peut se solidifier ainsi construire des arches des porches ; des tonnelles des poutrelles ; des contreforts et des marchepieds. Les pains de sel sont l’unité marchande de base chez eulles ; chacunl en reçoit une équiportion par tranche de 8 jours. 
Une armada-lenteur d’anémones adipeuses circonvolute tout autour desdites salières. 
Lo chevaliel est ici pour faire reculer ces algues bestiales - ondulés parasites à roporter amont. 
Oll caracole en monture bien biaisée bol image. Olls (lo et la monture) dévalent la cristalline, la vallée calcaire, le saltuaire, en avant fringanls ! 
Sous sabots les salières remouent. Ainsi dans ces flaques de dur on s’en tient à de paisibles déplacements. Mais pas lo. Lo doit tenir son rôle, agacer les adipeuses. En armée de fanfreluches à franges ça va goder si brusque sur les talus que le Sel de Deul en sera liquorisé de go. Pas moyen. 
Sa monture s’embourbe de trop fouguer en plein dans l’engrais des sels. Erreur de tumulte, oll s’extirpe de la molle masse par une chorégraphie de tortillages. Sa monture reste engluée sur place en l’attente de quelques dévouéls villageoils. Pas le temps de s’apitoyer. 
- Je reviendrai te chercher, Sally, le devoir m’appelle !
En simultemps, la horde trémoulante progresse… Elle gagne du terrain. 
- Caramasouilles !
Lo chevaliel se harnache de ses jambières à propulsion et fonce à travers les terrasses, les arches, les porches, etc. 
Oll fouille ses poches. Oll gagne l’escadron d’animales les mains pleines d’onguent de dulse. Le frimas libidineux du banc s’apaise à mesure qu’oll enfin les tartine de barbotine. Opération longue et dévouée, la saline langueur de l’aimanl habitél. Oll frotte leurs épaisses couches à les bleuir d’amourtume. 
« - Ô Granl Sel, Deul soit louél : une bonne cajole de mamours aura suffit à dé-courroucer ces orties folles de barges. »
Touls pétrils d’étreintes étauïques, les anémones de mer s’en retournent glossils et rougeoyanls s’enraciner en leurs cailloux et roches au-deloin. Leurs cœurs palpitent à en rider la surface. 



IV 

Olls n’ont pas de sentinelles, de soldal ni de police. Olls sont des séducteuls patentéls et se choient de caresses. Olls résolvent les mésententes par quelque preuve de sensualité. En cas de conflit majeur, olls vont jusqu’à déclarer l’orgie mesure de grande nécessité. Olls babillent des mots doux avant l’endormissement, chaque ensommeillél est sommél d’énoncer son babil du soir et ça vaut également avant la sieste. 


S’olls ont hérités d’une coutume cruciale, c’est la partie de scrabble. La partie de scrabble est chose sérieuse dans la forme mais les mots fleurissant en grappe, oll devient difficile d’en contester aucun. Lo maîtrel-scrabble doit constamment s’enquérir des innovations orthographiques. Une part notable d’entre eulles ne croient même pas que la pratique soit encore viable mais touls aiment le sport. 


Olls mesmerisent en flop, quand c’est bof, pas brillant, soso, olls s’apitoient en chorale, en pleurant olls font le poirier. Des joues tombent en goutte-à-goutte de petites plocs orées, après quoi olls dorment longtemps. 

Le sommeil est chez eulles une denrée illimitée, illimitable : comme des pierres olls sombrent selon des cadences aléatoires, nous dirions chaotiques. Plus que le repos olls y cherchent la voyance, le voyage, l’arrière-scène. La nuit, la sieste, la pause, le répit répondent aux temps vacants, blues, bored, mornes ou curieux. 
Rugissanls tigrels, olls deviennent violenls en cas d’infrastructures dysfonctionnelles. Les couacs ne laissent personne de marbre alors oll faut tout repenser à zéro. Cette maniaquerie culturelle est le résultat d’un ordonnancement des avoirs à l’égal des êtres, car les avoirs y sont des êtres, tout et touls s’y conçoivent huiléls. 


Dire d’eulles qu’olls ont les nerfs solides comme de la toile d’araignée encore et leurs nets vous arrivent par ce sauf-conduit, autres canaux & champs de bataille exogènes (agenls pathogènes). 


Olls ne sont pas, comme on a pu le croire, une entité dont les parties seraient à proprement parler connectées. Olls se serrent les coudes mais le tout n’est pas égal à la somme de ses parties non plus. Olls ont bel et bien appris à frémir en chœur, olls se trémoussent d’autant plus qu’olls ont des déhanchés superbes. Olls ont déterminé que le noyau dur de leur puissance serait l’altérité complice, clin d’œil et effet miroir, soit une empathie sur-développée. Olls n’ont à craindre des autres ni pique ni bâton. 


Olls se penchent sur la question puis la suivante. Touls sont instituteuls-étudianls, touls des éponges et des aspiros. 


Olls défendent la non-maîtrise mais pas le désengagement, le mou mais pas le passif, le slow mais pas l’inerte. S’engloutir de gré : olls ne sont pas engloutils, olls s’engloutissent vigoureusement tout autant qu’olls se dégloutissent à chaque marée haute, trop haute, d’automatismes. Olls sont un essaim communiste, un nid fourmillant d’entrelacs pluriels, olls sont hétéronomes, olls sont des particules agitées du bocal et leurs leviers s’actionnent à cent mains. Olls ne sont pas en progression, d’ailleurs olls ne croient pas au progrès ni au progressisme : olls croient à la fluctuation des habitus, olls craignent l’hybris. 



MARINE FORESTIERSans Corps n°2, 2021